Biographie longue

Ancêtres et petite enfance

Robert Casadesus est né dans une famille de musiciens. Son grand-père, Luis, émigré catalan, aurait voulu être violoniste. Les circonstances ne lui ayant pas permis de réaliser son rêve (il fut typographe, puis comptable, et la nuit, dirigeait des orchestres de café-concert), il se promit que ses enfants, eux, seraient musiciens. Luis et sa femme, Mathilde Sénéchal donnèrent naissance à treize enfants.

Neuf survécurent et huit furent musiciens. Parmi eux, Robert Casa, le père de Robert, acteur et chansonnier, naquit en 1878. Membre de la troupe de Sacha Guitry, il fut nommé par Dullin, directeur du Théâtre français de New York dans les années 20.

On ne peut dire que la naissance de Robert (le futur pianiste) eut lieu sous un ciel serein. Nous étions en 1899, et son père, alors âgé de 21 ans, avait une liaison avec une de ses camarades de Conservatoire où il étudiait la diction.

Robert fut le fruit de cette union de jeunesse. La jeune femme ne voulant pas assumer sa maternité, Robert-père décida de garder l’enfant plutôt que de le voir confier à l’Assistance publique. La tribu Casadesus accueillit le nouveau né sans l’ombre d’une hésitation. C’est à Tante Cécile, âgée de quinze ans, qu’échut la tâche de s’occuper de lui.

Reconnu par son père, adopté par toute la famille, Robert ne connut jamais sa mère. L’affection de la “tribu” compensa largement cette absence. Ses dons pour la musique se manifestèrent très tôt. Luis décida de lui faire étudier le violon, car, disait-il : “Avec un violon on est sûr de trouver du travail !”

Robert ne l’entendit pas de cette oreille et lâcha très vite le violon pour le piano devant lequel il s’assit avec autorité et détermination. Après le mariage de Tante Cécile, ce fut Tante Rosette qui prit le relais de son éducation.

Toute sa vie, Robert considéra Tante Rosette comme sa mère. Elle était, d’ailleurs, le capitaine du vaisseau Casadesus. C’est elle qui fit débuter Robert au piano.

Formation et début de carrière

Sans tarder, ses dons exceptionnels furent remarqués par tous ceux qui l’écoutaient. Le grand professeur de piano de l’époque, Isidore Philipp, le confia, sans aucune hésitation, à son répétiteur pour qu’il le fasse personnellement travailler selon ses méthodes.

Dès lors, les concours qu’il présente se succèdent avec succès et Robert obtient sa première médaille de solfège chez Lavignac, en 1911 et son premier Prix de piano à 14 ans dans la classe de Louis Diémer, autre professeur de renom.

Robert interprète “les Variations” de Gabriel Fauré, et Fauré alors directeur du Conservatoire de Musique de Paris, est membre du jury. Après sa prestation, Fauré s’approcha de Robert et, lui tapotant la joue, lui dit : “Tu feras un bon petit pianiste”.

Robert entre ensuite dans la classe de Lucien Capet, qui avait un rayonnement exceptionnel. Lucien Capet avait fondé un quatuor, Le Quatuor Capet, célèbre, à l’époque, dans lequel jouaient deux des oncles de Robert : Henri et Marcel. Le quatuor répétait souvent chez les Casadesus et c’est ainsi que Robert fut initié à la musique de chambre. Les Quatuors de Beethoven n’avaient aucun secret pour lui. Il les connaissait dans tous les sens sans les avoir jamais joués !

A cette époque, Robert jouait en duo avec son oncle Marius, son aîné de sept ans. Marius, violoniste talentueux jouait dans l’Ensemble des Instruments Anciens qu’avait fondé son frère Henri, altiste. C’est ainsi que l’enfance de Robert ne fut que musique.

Bien des années plus tard, Marius et Robert donneront de nombreux concerts ensemble. Mais l’un des événements majeur de la jeunesse de Robert fut, ans aucun doute, sa rencontre, au Conservatoire de la rue de Madrid, à Paris, avec la jeune Gabrielle L’Hote, de quelques années sa cadette, élève pianiste tout comme lui dans la classe de Diémer.

Gaby: rencontre, mariage, duo

Rencontre sous le signe de la musique, certes, mais aussi naissance d’une complicité, qui se développera intensément et sans faiblir durant toute leur vie. Après la mort de Robert, Gaby, dotée d’une énergie inépuisable, continuera encore longtemps à perpétuer le souvenir de son mari. On peut dire que le couple Robert & Gaby Casadesus fut exemplaire sur tous les terrains : celui de la vie privée et celui de la vie professionnelle.

Alors qu’il y aurait pu y avoir une certaine compétition entre deux artistes jouant le même instrument, tout au contraire, naquirent entre eux, une fusion, une complémentarité telles que leurs deux vies évoluèrent, pourrait-on dire, à quatre mains.

Malgré le fait que la majorité des prestations de Gaby ont été soit à quatre mains, soit à deux pianos avec son mari, elle s’est fait remarquer par plusieurs interprétations en soliste avec orchestre en France et aux Etats-Unis ainsi que par une discographie non négligeable. Son activité de pédagogue*, particulièrement au sein du Conservatoire Américain à Fontainebleau, a fait partie intégrale de sa carrière de pianiste (voir son ouvrage : Ma technique quotidienne). Elle s’est également consacrée à la réédition d’œuvres pour piano de Ravel dont elle possédait une connaissance intime, ayant, ainsi que Robert, tellement fréquenté le compositeur lors de son vivant.

Le “couple-duo” perdurera, d’ailleurs au-delà de la mort de Robert, en 1972. En effet, sans jamais désarmer, Gaby consacrera le restant de sa vie à maintenir le souvenir de l’art de son mari; pour ce faire, quelques mois après la disparition de celui-ci, elle créera avec son fils Guy, l’ “Association Robert Casadesus”.

Veillant au renouvellement du répertoire discographique de Robert à travers le monde, elle fera également découvrir le catalogue de son mari compositeur constitué de 69 opus dont sept symphonies, plusieurs concertos (pour piano, deux pianos, trois pianos, violon, violoncelle, flûte) et de nombreuses œuvres de musique de chambre. Elle fondera également le Concours International de Piano de Cleveland, plus tard relayé, grâce à Jean-Claude Casadesus, par les Rencontres Internationales de Piano de Lille.

En 1999, dès la fin des célébrations organisées pour le centenaire de son mari, Gaby le rejoignait, sûrement avec le sentiment du devoir d’épouse et de partenaire accompli.

Collaboration avec Ravel et Conservatoire Américain

Mais revenons à la vie de ce jeune couple de pianistes. Robert entre, tout naturellement dans le circuit des concerts. Dans les années 20, il travaille l’œuvre de Ravel qu’il interprète en présence du compositeur tandis qu’une réelle amitié lie les deux hommes. Ravel ne lui dira-t-il pas, un jour, à la fin d’un récital : “Vous devez être vous-même compositeur pour jouer d’une telle manière les oeuvres des autres!”. Ravel avait entendu juste. Depuis toujours, Robert composait et composera toute sa vie.

Ravel a énormément compté dans la vie de Robert Casadesus : leur collaboration professionnelle et leur amitié personnelle ont duré plus d’une douzaine d’année jusqu’à la mort de Ravel en 1937. Robert et Gaby évoquent un homme simple, sincère, qui détestait la publicité et les discours et, à l’occasion, demandait à Robert de prendre la parole à sa place. Robert et Gaby ont eu le privilège d’entendre de Ravel lui-même bien des commentaires sur l’interprétation de ses œuvres pour piano qu’ils ont ensuite transmis à leurs élèves.

Robert Casadesus a enregistré tout le répertoire pour piano de Ravel — voir discographie — et a été le champion du Concerto pour la main gauche que bien des chefs d’orchestre ne cessaient de lui réclamer.

Dès ses débuts, Robert adorait jouer les œuvres de Ravel et il a été, en 1924, le premier pianiste à donner un récital tout Ravel. A cette occasion, Ravel le félicite et lui propose d’enregistrer sur des rouleaux certaines de ses œuvres (en fait, celles trop difficiles pour lui) pour Eolian, à Londres. Peu de temps après, Ravel et Robert collaborent au cours d’une tournée en Espagne. Ils jouent à quatre mains, puis se partagent le reste du programme.

Leur amitié se développe entre les concerts—grandes conversations sur la musique, les grands compositeurs, etc. D’assez fréquentes soirées remplies de musique chez des amis communs, puis une collaboration d’un autre genre au Conservatoire Américain de Fontainebleau. Ravel accepte d’être Directeur Général en 1934, et l’été 1935 les trouve tous deux en pleine action, car Robert vient d’être nommé à la tête du département de piano, succédant à Isidor Philipp.

Indirectement et familialement, Robert était déjà entré dans le monde américain lorsqu’en 1921 il devint assistant d’Isidore Philipp, alors professeur au Conservatoire Américain de Fontainebleau. Ce Conservatoire avait été crée en 1921 conjointement par Francis Casadesus (l’aîné des oncles de Robert) et par Walter Damrosch, directeur du New-York Philharmonic.

Les deux hommes s’étaient rencontrés en 1917 pendant la guerre au camp de Chaumont où Francis enseignait l’harmonie aux chefs des fanfares militaires américaines, aidé de plusieurs musiciens français.(André Caplet, Jacques Pillois … ) Walter Damrosch enthousiasmé par cet enseignement, avait pensé qu’il devrait se pérenniser pour de jeunes musiciens américains, une fois la guerre finie.

C’est ainsi que commença la longue histoire qui unit Robert et sa famille aux Etats-Unis. Le Conservatoire américain de Fontainebleau jouera pour les Casadesus un rôle prépondérant auquel Robert n’avait sûrement songé en ce début des années 20. Dès les années 30, Robert démarre une carrière américaine, qui le voit revenir, chaque année, à New York et partout ailleurs dans ce vaste pays. Il joue sous la baguette des plus grands : Toscanini, Koussevitsky, Rodzinsky, Walter, Monteux… et, dès 1938, est invité à se produire pour les concerts de la Bell Telephone Hour, radiodiffusés dans tout le pays (à partir de 1960, ils seront télévisés) : le nom de Casadesus en tant qu’artiste français devient aussi célèbre que celui de Maurice Chevalier ou de Charles Boyer – au firmament des rares stars françaises, son étoile brille  aux côtés de celles de Menuhin et de Bernstein sur le trottoir de Hollywood Boulevard. 

La traversée de l’Atlantique n’a plus de secret pour lui et il prend goût à la vie sur les transatlantiques qui relient Le Havre à New York ! Fin gourmet, fumeur de cigares, ces moments de détente sont pour lui et Gaby autant d’instants de bonheur partagé. La famille s’était agrandie avec la naissance de deux garçons : Jean, en 1927 et Guy en 1932. Les garçons vont à l’école comme tous les enfants. Jean commence le piano très jeune, avec Tante Rosette, et suivra les traces de ses parents. Guy, par contre, mis au violon, ne s’y intéresse guère et se tourna sans hésitation vers le jazz, poursuivant plus tard une carrière dans les affaires internationales.

Tournées et années d’exil aux Etats-Unis

Les tournées à l’étranger se multiplient. Outre l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne et tous les autres pays d’Europe, d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient ou d’Amérique du Sud, ce sont les Etats-Unis d’Amérique qui seront le terrain fertile de sa carrière.

Robert Casadesus débute aux Etats-Unis en 1935 et se produit à New York. Toscanini était dans la salle et, plein d’admiration, l’invite à jouer l’année suivante sous sa direction, avec l’orchestre philharmonique de New York. Le succès est immédiat ; ceci marquera le début de très nombreuses tournées, tout particulièrement aux Etats-Unis, mais aussi dans une quarantaine de pays en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au Japon.

A partir de 1936, Robert et Gaby poursuivent des tournées d’hiver dans tous les Etats-Unis, y compris en 1940. Heureusement, Robert et Gaby avaient emmené leurs deux fils, considérant la situation en Europe trop précaire pour les y laisser. Ne pouvant envisager une session d’été du Conservatoire Américain au Château de Fontainebleau, on demanda en avril 1940 à Robert d’essayer d’organiser une session aux Etats-Unis et ils optèrent pour la Nouvelle-Angleterre.

Le retour en France s’avère impossible étant donné les circonstances. Robert et Gaby décident donc de rester aux Etats-Unis. Ils ne se doutaient pas alors que l’exil durerait six ans… Des amis suggérèrent aux Casadesus de louer une maison à Princeton plutôt que de rester à New York pour que les enfants puissent profiter d’une bonne scolarité et d’activités sportives.

En 1942, une petite Thérèse vient se joindre au quatuor. Robert, heureux d’avoir une fille, la surnomme, “la dauphine” et compose pour elle une berceuse. Née aux Etats-Unis, Thérèse y fera sa vie et épousera un américain. Les six années américaines furent une expérience passionnante pour tous. La famille connut plusieurs déménagements, donc plusieurs maisons. Robert et Gaby durent se familiariser avec la langue américaine que Robert parlera toute sa vie avec un accent à la Maurice Chevalier ! Ils rencontrent d’autres exilés comme eux. Albert Einstein, leur voisin à Princeton, fut l’un d’entre eux. Passionné de musique (on sait qu’il jouait très correctement du violon) il participa avec eux à des concerts amicaux autour de Mozart.

Ce long séjour américain verra aussi la naissance de ce qui deviendra le célèbre duo piano-violon “Casadesus-Francescatti” qui rayonnera de nombreuses années dans le monde entier.
Les hasards de l’exil firent se recontrer ces deux musiciens aussi talentueux l’un que l’autre. Zino Francescatti et sa femme Yolande avaient été, eux aussi, obligés de rester aux Etats-Unis où ils se trouvaient en 39. Ils s’étaient retrouvés, pendant l’été 1942, voisins des Casadesus. Heureux hasard ! Débuté par des concerts d’après-midi pour faire de la musique ensemble, le duo, sans tarder, se fit connaître des professionnels. S’en suivirent concerts à travers le pays, disques chez Columbia (devenu CBS et aujourd’hui Sony) et après la guerre, tournées internationales.

Le duo ne fut dissout qu’à la mort de Robert. Tous deux s’entendaient à merveille, il faut les avoir vus complices de chaque instant, en répétition, avoir ressenti leur concentration pendant un concert, toujours dans l’amour de la musique partagée, pour conclure que ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Leurs enregistrements, entre autres, des sonates pour piano et violon de Beethoven en sont toujours le témoin vivant. Les Etats-Unis, ce fut aussi la continuation de l’Ecole de Fontainebleau pour laquelle Gaby déploya une énergie et un dévouement sans mesure.

Elle se battit bec et ongles pour surmonter les difficultés matérielles, qui ne manquèrent pas en cette période de guerre, les Américains ayant, à leur tour, rejoint le combat et ne portant pas une attention particulière à la logistique d’une école de musique. Mais, pour Gaby c’était une priorité et elle le fit savoir, se débattant pour obtenir les subventions nécessaires au fonctionnement.

Retour en France et carrière internationale

Après la guerre, le Conservatoire américain rouvrit ses portes à Fontainebleau pour les sessions d’été. Robert fut le premier directeur de cette école ressuscitée jusqu’au retour de Nadia Boulanger, autre exilée aux Etats-Unis durant les années sombres. Cet exil forcé deviendra dans le souvenir une tranche de vie heureuse, malgré l’éloignement du reste de la famille et l’absence de nouvelles de ce qui se passait réellement là-bas. Durant ces longues années, les Casadesus ont côtoyé tout ce que le Nouveau Monde comptaient de grands musiciens d’origine ou également exilés comme eux. Les intellectuels s’étaient pour beaucoup réunis autour de New York ou sur la côte ouest. Parmi ces personnalités, ils firent la connaissance de Belà Bartok, qui avait fui la Hongrie. Son oeuvre, à l’époque, ne rencontrait guère l’adhésion du public américain. Il mourut à New York dans une quasi misère, des suite d’une grave maladie, en 1945. Stravinsky est là, lui aussi, ainsi que Darius Milhaud qui, avec sa femme Madeleine, deviennent de vrais amis. Le jeune Leonard Bernstein fait déjà parler de lui ; Horowitz, gendre de Toscanini, règne sur le piano à New York.

Enfin l’armistice est signée, le 8 mai 1945, et un an plus tard la famille Casadesus rentre au pays. Fontainebleau voit renaître le Conservatoire américain, Robert, Gaby et les enfants réintègrent l’appartement de la rue Vaneau. On retrouve la famille, les amis. On réapprend à vivre “à la française”. Toutefois, dans l’euphorie du retour, un événement douloureux vient frapper la famille : la petite Thérèse contracte la poliomyélite auprès d’un étudiant américain au cours de la session d’été du Conservatoire américain de Fontainebleau. Sans changer en rien la vie quotidienne et les tournées, Gaby et Robert se mobilisent et luttent à ses côtés pour l’aider à retrouver sa motricité. Ce combat, mené avec ténacité et amour, portera ses fruits. Chaque année, l’Amérique accueille Robert pour des concerts et des récitals à travers ce continent qu’il connaît si bien. Les disques s’enregistrent soit à New York, soit à Paris, toujours pour Columbia devenue CBS disques.

Ci-dessous les chefs avec lesquels Robert a le plus joué et enregistré dans les années 40, 50 et 60 :

Eugene Ormandy (1899-1985) Robert se produit souvent avec l’orchestre de Philadelphie qu’il dirige, des années 40 aux années 60. Ils ont collaboré au célèbre enregistrement du Concerto pour la Main Gauche de Ravel—la photo montre Robert indiquant les nuances voulues par Ravel. Le prédécésseur d’Ormandy, Leopold Stokowski, quasiment une vedette hollywoodienne mais surtout passionné de musique contemporaine, dirigea le 2eme concerto de piano de Robert (op. 37).

Dimitri Mitropoulos (1896-1960). C’est lui qui propose à Robert en 1950 d’inclure Jean dans d’uniques prestations à trois pianos (voir plus loin : la première famille du piano) — Bach, Mozart — avec la Philharmonie de New York.

Charles Munch (1891-1968), chef de la Boston Symphony où il succéda à Serge Koussevitsky, privilégie la musique francaise (d’Indy, Franck) si chère à Robert. Une entente musicale parfaite règne entre eux.

George Szell (1897-1970), une grande amitié a lié Robert au célèbre chef de l’orchestre de Cleveland, le plus prisé des orchestres américains avec celui de Chicago. Leur collaboration dans leurs enregistrements des concertos de Mozart reste insurpassable et référentielle.

Leonard Bernstein (1918-1990) Aux côtés d’un jeune Bernstein qui lui aussi adore la musique française, ils joueront et enregistreront avec la Philharmonie de New York le 4eme concerto de Saint-Saëns et la Ballade de Fauré, œuvres emblématiques du répertoire français.

La première famille du piano (avec Jean)

Les festivals européens retrouvent chaque été Robert, Robert et Zino, Robert, Gaby et Jean car Jean, à son tour, a entamé une carrière internationale. Il partage son temps entre les Etats-Unis et Paris, ayant une résidence de chaque côté de l’Atlantique. Il a épousé Evie Girard, fille du peintre André Girard, qui, avec sa famille, avait également vécu Outre-Atlantique durant la guerre. Les Girard avaient fait partie des amis unis par l’exil. Avec ce mariage, les liens devenaient familiaux. Les trois pianistes vivent leur carrière de façon indépendante, mais ils aiment à se retrouver à deux ou trois pianos pour interpréter Bach, Mozart ou Robert Casadesus : Robert a, en effet, composé un concerto pour trois pianos afin de souder encore plus, selon l’expression des américains “la première famille du piano”. Ce titre avait été donné à un documentaire télévisé sur les Casadesus réalisé par la Bell Telephone Hour en 1967 qui a obtenu une énorme diffusion dans tous les États-Unis et qui est encore aujourd’hui disponible en DVD.

La famille, mot qui avait un sens sacré pour Robert. La famille, qui durant l’été, entre deux concerts ailleurs, se retrouvent dans la maison de Recloses, près de Fontainebleau et, durant ces plages de repos, les trois pianos cèdent la place à trois vélos que les trois pianistes enfourchent allègrement pour faire de longues balades en forêt. Comme dans toute famille, la vie aura apporté aux Casadesus son lot de joies et son lot d’épreuves. L’année 1972 sera sans doute la plus tragique qu’elle aura traversée. En janvier, Jean meurt tragiquement dans un accident de voiture : de mauvaises conditions climatiques ont empêché l’avion que Jean devait prendre pour aller donner un concert au Canada de décoller. Avec un autre passager, il décide de louer une voiture. La route était glissante. Jean était assis à côté du chauffeur…

Robert atteint au plus profond de lui-même ne parvient pas à surmonter sa douleur. Sa santé décline rapidement. Il doit annuler bon nombre de concerts durant l’été. Le 19 septembre, il rejoint Jean. Gaby, anéantie par cette double épreuve, qui, la même année, affecte sa vie d’épouse et de mère, fait face avec courage et décide de perpétuer le souvenir de son mari. Son charisme et sa ténacité lui permettront d’aboutir pleinement.

Conclusion

Non seulement Gaby Casadesus a consacré plus de vingt-cinq ans à faire vivre la mémoire de son époux tant par les manifestations portant le rayonnement de son nom — le Concours International de Piano Robert Casadesus de Cleveland (1975-1993), les Rencontres internationales de Piano à Lille (1994-2004) — mais elle a maintenu son activité professionnelle d’interprète et de pédagogue parallèlement à son activité au sein de l’Association Robert Casadesus, enregistré des œuvres de Robert, et participé à de nombreux jurys. Son livre « Mes Noces Musicales » publié chez Buchet-Chastel en 1988 fait revivre l’exceptionnelle carrière de Robert et de leur duo.

Le compositeur Gréco Casadesus, cousin germain de Robert, a continué l’œuvre de Gaby en publiant de nombreuses œuvres manuscrites de Robert et en les faisant enregistrer, complétant ainsi le catalogue considérable du compositeur. Son fils Guy et Gréco, à l’aube du vint-et-unième siècle, ont perpétué la mémoire du célèbre pianiste et compositeur en créant le premier site robertcasadesus.com en 2005 dont vous pouvez apprécier à présent la deuxième édition.

En 2022, ce sera le cinquantième anniversaire de la disparition de Robert Casadesus, l’un des « plus grands pianistes » de l’entre-deux guerres et de l’après guerre, aux cotés d’Arthur Rubinstein et de Vladimir Horowitz : aux États-Unis ce qu’on appelle « a household name ». Il reste encore vivant aujourd’hui, particulièrement par ses enregistrements dont rien ne peut mieux témoigner l’actualité que la sortie, en 2019, du box-set que lui a consacré SONY — édition complète de 60 CD de ses enregistrements chez Columbia — qui comprend également un certain nombre de ses œuvres.

Faire mieux connaître et jouer sa musique reste un objectif fondamental pour ses héritiers, actuellement guidés par sa fille Thérèse et ses petits-fils Carter et Ramsay Casadesus. Grâce à son action au cœur du Conservatoire Américain de Fontainebleau depuis une vingtaine d’années, Thérèse initie les jeunes étudiants qui viennent chaque été parfaire leur répertoire de musique française au vaste catalogue d’œuvres de piano et de musique de chambre de son père. Voir le site pour des interprétations récentes et mentions de thèses de doctorat qui lui ont également été récemment consacrées. Le nombre de demandes sur le site internet prouve une actualité internationale, particulièrement au Japon, qui augmentera sans aucun doute grâce à notre deuxième édition de ce site.

Texte de Jacqueline Muller
et de la famille Casadesus.